Séparé des autres mais
aussi de moi-même.
C'est
une idée à la fois banale et irrécusable
: je suis à distance des autres. Bien entendu, nous sommes
nés attachés. Mais très vite nous avons connu la première
séparation, celle dont nous conservons encore la
trace, la cicatrice. Et si par la suite nous avons vécu un
temps dans ce que Baldwin appelle " une
situation a-dualiste ", dans laquelle n'existe ni
conscience de soi, ni distinction entre le monde vécu et le
monde extérieur, il nous a fallu rompre avec cette symbiose
pour gagner progressivement notre identité.
Désormais espacés,
séparés , chacun d'entre nous osccupe " sa
" place dans l'espace. Je suis " moi " et
tu es " toi ". Tel serait le point
d'ancrage de notre condition qui semble tenir inexorablement
en échec, par exemple, tout rêve d'ubiquité.
Si je ne peux pas être partout à la fois, je ne pourrai jamais,
non plus, occuper tous les points de vue sur le monde.
Tout comme le temps qui ne
peut être ni précipité (je dois apprendre à patienter jusqu'à
l'heure de mon rendez-vous) ni retrouvé (revivre son passé
n'est pas un sens interdit mais un non-sens), l'espace est
vécu comme ce qui me détermine, me limite ; en fin de compte,
comme une véritable malédiction.
Autrui lui-même ne peut m'être
d'aucun secours. Il n'est pas à " ma " place. Ses conseils,
ses recommandations ne peuvent venir remplacer la décision
qui m'incombe, à laquelle je ne peux échapper. Ainsi en va-t-il
de la mort : au moment de mourir, personne
ne pourra prendre " ma " place , pas plus que dans un élan
de générosité extrême ou encore dans un mouvement
héroïque je ne pourrai réellement prendre " la place
de l'autre ".
Je suis en quelque sorte "
assigné à résidence ", " mis en demeure " d'affronter
seul le monde à partir d'une perspective qui est
mienne et qui est à la fois finie et partielle. Tout se passe
donc comme si notre sort était d'être condamné à rester
" chacun chez soi ".
Mais il y a plus : au creux
même de cette solitude, je fais encore l'expérience, tout
aussi douloureuse, d'une autre séparation.
Si les actes que je pose sont
bien les miens, si j'en suis responsable, cela ne veut pas
dire pour autant je m'y reconnais aisément. L'idée que je
me fais de moi-même n'est décidément jamais la bonne.
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